La maison de Villeperdue
C'est une vieille et grande maison au coeur de la campagne normande, dans un lieu-dit qui porte bien son nom.
Une maison aux épais murs de pierres, aux petites fenêtres, aux volets couleur de cerise, aux nombreuses dépendances.
Une maison qui ne cesse de se reconstruire, de s'agrandir, comme l'arbre de famille qu'elle abrite par intermittence, par vagues, à toutes les saisons.
C'est une grande maison donnant sur une cour fermée, sur une terrasse aux dalles couleur de sable, une piscine couverte et un grand parc au bout duquel, une arche perçant le mur de pierres mène a un jardin de bonne taille, un verger et un poulailler.
Ce parc, à l'abri des regards indiscrets, recèle d'autant d'espèces d'arbres, plantes et fleurs communes qu'exotiques, en cette région. Calme, pur, pâle et nu l'hiver, florissant au printemps, dans sa multitude de couleurs et l'explosion de ses senteurs, fruitier, gai et généreux en été, il comble les yeux en automne, avec ses couleurs vives et les mille secrets que recouvrent les feuilles mortes.
C'est une vieille maison qui a repris vie il y a douze ans, une maison rénovée, choyée par un couple qui s'y est dévoué, coeurs, corps et âme. Deux âmes soeurs que l'on pensait immortelles en cette demeure mais qui furent physiquement et dramatiquement séparées. La maison a su rendre le bonheur qu'on lui avait insufflé, a comblé la fin d'une vie, lui a apporté la joie, la sérénité et la paix.
C'est une maison de nouveau mi-orpheline, mais jamais délaissée qui, dans sa douleur, a pris sa revanche sur la mort en ouvrant grand ses portes à la vie. Pour que Sa mémoire et Son âme, présentes jusque dans les pierres, dans les meubles et dans son atmosphère, perdurent et ne soient jamais oubliées.
C'est une maison un peu extraordinaire avec cette drôle d'alliance du traditionnel et du créatif. Des antiquités aux bibelots kitsch, l'ancien et le parfois burlesque se marient étonnement entre ces murs plus que centenaires. C'est une maison d'hier et d'aujourd'hui, dans un farfelu mélange de styles et d'époques qui, finalement, s'embrouillent parfaitement.
C'est une maison chaude et réconfortante, l'hiver, avec ses feux de bois dans le beau poêle du salon, dans la grande cheminée de la cuisine.
C'est une maison aé
rée et bée l'été, quand toutes portes et fenêtres ouvertes elle ne fait plus qu'un courant d'air avec la terrasse et le jardin, quand les enfants, encore trempés de leurs plongeons dans la piscine, entrent et sortent pieds nus, laissant une multitudes de petits pas sur le carrelage frais.
C'est une maison de paix qui ne connait pas les plaintes, les pleurs et les cris. Sauf les cris de joie. Les cris de joie des enfants qu'elle accueille et protège, de ces enfants qu'elle a connu bébé et voit peu à peu grandir, de ces enfants qui de fond en comble la découvre, la fouille, la chatouille dans leur tumultueuses cavalcades, avec leurs éclats de rires qui retentissent et se répercutent entre les poutres et les murs et la mette sans tous ses états.
Solitaire, en semaine, c'est le seul moment où l'on peut entendre les craquements des poutres et le tic-tac des pendules. Elle est au repos, elle reprend son souffle, dans l'attente du fourmillement et de l'ébullition des weekends et des vacances.
C'est une maison généreuse qui aime recevoir, une maison qui revit quand elle accueille et retentit de mille voix et éclats de rires et de joie, du bruit des bouchons de Champagne qui sautent, des tintements des verres qui trinquent, de la vaisselle qui s'entrechoque sur la table, des casseroles qui chantent sur la grande cuisinière, du bois qui crépite dans les cheminées, du vin rouge soyeux ou blanc sucré qui coule dans les gosiers de ses invités hilares et choyés.
C'est une hôtesse généreuse avec ses placards à provisions débordants de victuailles et plus fournis que l'épicerie du village voisin, avec sa cave -dont la visite n'est réservée qu'aux V.I.Ps de la famille (!)- recelant de trésors cachés et de grands crus d'une autre époque.
Sur son imposante table, du pain croustillant, des terrines et pâtés de région, des viandes exotiques venues des cinq continents, des légumes importés du jardin-au-bout-du-parc, une représentation de la France entière sur un plateau de fromage et les fruits acidulés et sucrés du verger-au-bout-du-parc.
C'est une maison qui rayonne comme un soleil et brille comme une étoile dans la Baie. Comme un guide, elle ouvre la voie, elle rassemble.
C'est la maison de la mémoire, la maison des retrouvailles, la maison de tous les espoirs.
C'est une vieille et grande maison au coeur de la campagne Normande, dans un lieu-dit qui porte bien son nom.
C'est la maison de mon père. Dont l'âme et le coeur en sont le moteur.
Villerperdue - Juillet 2008